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Un échec du processus et de la politique: Le projet de loi C-59, qui modifie les dispositions sur l’écoblanchiment de la Loi sur la concurrence

Un échec du processus et de la politique: Le projet de loi C-59, qui modifie les dispositions sur l’écoblanchiment de la Loi sur la concurrence

Une nouvelle étude de l’Institut McDonald-Laurier, menée par Sonya Savage et Heather Exner-Pirot, en partenariat avec le Conseil de la carboneutralité de la Chambre de commerce du Canada.

26 février 2025

Une nouvelle étude de l’Institut McDonald-Laurier, menée par Sonya Savage et Heather Exner-Pirot, en partenariat avec le Conseil de la carboneutralité de la Chambre de commerce du Canada, ne se limite pas aux points de discussion et aux gros titres, mais décrit le processus par lequel l’amendement sur l’« écoblanchiment » a été apporté à la Loi sur la concurrence par le projet de loi C-59, et l’impact qu’il a eu depuis lors.

Ce rapport a pour but de :

  • Décrire l’élaboration de l’amendement (74.01(1) (b.2))
  • Identifier les caractéristiques les plus mal conçues de l’amendement sur l’écoblanchiment
  • Documenter les nombreuses critiques formulées à l’encontre de l’amendement
  • Décrire l’approche du Canada en matière d’écoblanchiment par rapport à ses homologues internationaux

Qu’est-ce que l’écoblanchiment?


Créée en 2013, cette expression désigne les tactiques utilisées par les entreprises pour faire croire au public qu’elles en font plus pour protéger l’environnement qu’elles n’en font réellement.

L’amendement sur l’écoblanchiment


Le 30 avril 2024, une modification de dernière minute au projet de loi sur la concurrence a été introduite et adoptée par le Comité permanent des finances de la Chambre des communes. L’amendement a été approuvé sans que les parties concernées aient été consultées ni qu’un débat approfondi ait eu lieu, comme le veut la procédure parlementaire habituelle. Cet amendement a été approuvé lorsque le projet de loi C-59 a obtenu la sanction royale le 20 juin 2024.

Au lieu de ne concerner que les produits, l’amendement s’applique à toute personne faisant une déclaration environnementale sur une entreprise ou une activité commerciale. Ce principe ne se contente pas d’empêcher la tromperie dans les messages publicitaires. Il couvre ce qu’une société, ses employés ou ses représentants peuvent dire aux investisseurs, aux institutions financières, aux parties prenantes, aux partenaires commerciaux et même aux autorités de réglementation et aux gouvernements. Il s’applique aux entreprises qui ne proposent pas de services ou de produits au public et inclut les associations industrielles et commerciales, de même que les défenseurs des droits de la personne.

La nouvelle section réglemente et affecte pratiquement tous les secteurs de l’économie canadienne. En vertu de cette modification tardive, on peut engager des poursuites sans que les déclarations environnementales soient fausses ou matériellement trompeuses. Une communication peut être à la fois authentique et illégale, à moins qu’elle soit justifiée par une « méthodologie internationalement reconnue », sans toutefois en préciser la nature.

Cette modification tardive prévoit aussi un renversement de la charge de la preuve : la personne ou l’entreprise qui présente une déclaration devra prouver qu’elle est fondée sur une « norme internationalement reconnue », et non le Bureau de la concurrence ou le plaignant qui demandent un réexamen. Ainsi, les risques financiers pour le plaignant sont minimes et la procédure est moins coûteuse. Le nombre de plaintes déposées par des groupes de défense de l’environnement et d’autres acteurs va probablement augmenter.

Enfin, les entreprises reconnues coupables d’écoblanchiment en violation de l’amendement sont passibles de nouvelles sanctions pouvant atteindre 10 millions de dollars pour une première infraction ou 3 % du chiffre d’affaires brut mondial de la société, le montant le plus élevé étant retenu.

Les conséquences de l’amendement

Cet amendement tardif a eu des conséquences immédiates : de nombreuses entreprises et sociétés du secteur pétrolier et gazier ont retiré des informations de leurs sites Web et de leurs réseaux sociaux. Les réactions à cet amendement n’ont toutefois pas été limitées à l’industrie pétrolière et gazière. Elles se sont manifestées dans plusieurs secteurs, dont l’agriculture et l’agroalimentaire, la chimie, la sylviculture, l’exploitation minière, la construction, l’industrie manufacturière et le secteur financier. Plus particulièrement, les entreprises qui développent des projets et des technologies à faible émission de carbone ou liées à la transition énergétique s’inquiètent beaucoup de cet amendement.

Après juin 2024, le Bureau de la concurrence a lancé une consultation pour savoir comment fournir des lignes directrices et des éclaircissements sur certains aspects, notamment le test de la « méthodologie internationale ». Le Bureau a reçu 208 mémoires publics, soit de la part de sociétés pétrolières et gazières, soit de la part d’autres organisations, comme l’Association canadienne de l’industrie de la peinture et du revêtement, la Canadian Canola Growers Association, le NPD de l’Alberta ou encore Elizabeth May, cheffe du Parti vert fédéral.

Les critiques à propos de l’amendement

Cette modification tardive est inutile, puisqu’elle fait double emploi avec les cadres de présentation des rapports déjà mis en place par le gouvernement canadien. Elle va également à l’encontre de l’objectif de la loi sur la concurrence, qui a toujours été axée sur la protection des consommateurs et le maintien de la concurrence entre les entreprises. L’amendement fait évoluer la loi sur la concurrence en terrain inconnu. D’autres règles et réglementations conviennent mieux pour atteindre des objectifs sociaux et écologiques justifiés.

Les conséquences involontaires de l’amendement

Les conséquences involontaires de l’amendement sont sérieuses, auraient pu être anticipées et doivent être corrigées :

  1. Des tests et des risques incertains conduiront au « greenhushing » (écomustisme)
    Compte tenu de la nature floue et imprécise de la norme concernant les « méthodes reconnues internationalement », qui est énoncée dans la modification, les entreprises font face à une grande incertitude et sont susceptibles de s’abstenir de discuter de leurs résultats en matière d’environnement ou de leurs plans d’action climatique par crainte d’un risque financier et d’une éventuelle détérioration de leur réputation.
  2. Plus d’incertitude pour les sociétés qui se fixent des objectifs de carboneutralité
    L’incertitude qui plane sur la reconnaissance internationale des tests méthodologiques rend plus difficile pour les entreprises de fixer et de communiquer des objectifs de réduction des émissions ou d’atteindre des objectifs de carboneutralité.
  3. Double réglementation et surréglementation
    Considérées dans leur ensemble, les modifications du projet de loi C-59 semblent représenter un autre levier pour aborder la politique climatique dans une législation qui n’a pas été conçue à cette fin. Les amendements à la Loi sur la concurrence font double emploi et contredisent même d’autres efforts de divulgation obligatoire d’informations sur le climat et les facteurs ESG en vigueur.

L’approche législative du Canada en matière d’écoblanchiment


Parmi toutes les sphères juridiques existantes, aucune n’a suscité autant de confusion que celle du Canada, qui a associé des conditions imprécises, comme la « méthodologie internationalement reconnue », à une inversion de la charge de la preuve, à des droits d’accès élargis et à des amendes exorbitantes.

Les différences entre la législation canadienne sur l’écoblanchiment et les autres juridictions :

Recommandations


Le Canada dispose de nombreux moyens pour limiter les effets néfastes, les incertitudes et les risques associés à la modification concernant l’écoblanchiment proposée dans le projet de loi C-59. Ces mesures ont été formulées dans les 208 mémoires soumis par le public au Bureau de la concurrence. Toutefois, la meilleure solution consiste à abroger non seulement la section 74.01(1) (b.2), relative aux activités commerciales et à la méthodologie internationale non définie pour la justification, mais aussi tous les amendements relatifs à l’écoblanchiment et à la commercialisation trompeuse adoptés dans le cadre du projet de loi C-59.

Ce rapport conclut que les Canadiens bénéficient d’une protection adéquate contre les pratiques commerciales trompeuses et l’écoblanchiment grâce aux cadres existants et en cours d’élaboration, tels que le Sustainability Accounting Standard Board (SASB), l’International Sustainability Standards Board (ISSB), le Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques, ainsi que la Global Reporting Initiative (GRI).    

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